Qui est Dr Fatoumata Oury Diallo ?
Je suis guinéenne, née en Janvier 1954 à Labe. J’habite à la minière (secteur Belle minière). S’agissant de mon adresse professionnelle je suis enseignante-chercheur. Je suis au département pharmacie à l’Université Gamal Abdel Nasser (faculté des sciences et techniques de la santé) en tant que professeur titulaire de la toxicologie spéciale, toxicologie clinique d’urgence (4ème année), phito-pharmacie à la pharmacie vétérinaire (5ème année). Je donne aussi ces mêmes cours à la faculté sciences médicales de l’université la source. Je suis depuis 2019 S/G de l’institut itinérant de formation et de prévention intégrée contre la drogue et autres conduites addictives (IFPIDKA) en tant que femme enseignante-chercheur au compte du ministère de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique.
Dr Fatoumata Oury Diallo, rare fille à étudier dans son village dans les années 60 grâce à la persévérance de son père, racontez-nous cet épisode de votre vie?
Mes grands-parents (les oncles de mon père) disaient à l’époque que quand une belle fille est scolarisée elle va se rebeller en grandissant et sera ingérable par ses parents. Mon père s’est ligué contre eux et a répliqué que s’il plaît à Dieu sa fille va étudier. Malgré mon jeune âge j’ai été envoyée à l’école primaire du village en tant qu’auditrice d’abord avant d’être inscrite. Mais je fréquentait déjà l’école coranique et je lit jusqu’à nos jours couramment le Coran. En 1960 quand on a fait la composition de passage en 2ème année j’ai été première de la classe.
Avant la fin de votre cycle universitaire vous avez fait comme tous les étudiants votre formation militaire et vous aviez toutes les chances d’y évoluer?
En 1976 après notre dernière matière en parasitologie nous sommes allés au camps Kwame Kourouma pour deux mois et quelques de formation avec des militaires cubains. J’étais dans la même caserne que la future grande journaliste Hadja Aissatou Bella Diallo (RTG) et où travaillait aussi son mari Aguibou Thiam. Ce qui m’a marqué j’ai gagné au concours de tir à la cigarette à bout portant (j’ai cassé la cigarette en deux). J’ai eu une tenue trelli, casquette et de lourdes bottes. Les responsables m’ont demandé si j’acceptais d’étudier à l’école militaire de Maneyah. Je leur ait répondu (dans la discipline en tant que soldat 164) si j’étudie là bas est ce qu’un jour j’aurais le grade de maréchal? Ça les a surpris et chaque fois que Mr Aguibou me croisait il disait bonjour mon maréchal (rires). Étant fiancée à l’époque j’ai préféré me marier le 22 août 1976 une date extraordinaire car date du « racisme pheul ». Nous faisions la fête quand le discours là est passé mais ya eut beaucoup de regrets et de changements des auteurs après ça, ce qui a fait que notre promotion a été baptisée « Almamy Bocar Biro ». Un baptême qui a eut en même temps que ceux de Samory et Mao. Ceci après l’université à la campagne (une période où les étudiants sont emmenés dans les communes rurales pour travailler la terre et faire d’autres activités communautaires). Par exemple les arbres fruitires se trouvant à Gamal Abdel Nasser ont été plantés par les filles d’autres facultés.
Diplômée en Pharmacie en 1979 comment vous êtes vous retrouvée au laboratoire ?
Quant on était diplomitif on nous a affecté dans les pharmacies d’État. Moi j’ai travaillé à Forecariah pendant une année. Au bout de 4 jours je savais déjà tenir le livre de comptabilité, gestion des fiches, gestion des médicaments. Après le stage j’ai demandé à ce qu’on m’envoie au laboratoire. Ce qui a étonné feu Dr Youssouf Kourouma directeur de la Pharmaguinee car tout le monde à l’époque cherchait à évoluer dans les magasins ou officines d’Etat dont la gestion était plus facile. J’ai expliqué au doyen que certes ya de l’argent a gagner dans les pharmacies mais moi je n’avais plus rien à apprendre scientifiquement dans ce secteur alors qu’au laboratoire à travers les recherches journalières j’allais être plus utile. Donc après la formation militaire on m’a affecté au laboratoire d’analyse (différent du laboratoire biomédical) de Pharmaguinee (actuelle BCG) ou j’ai évolué pendant près de 25 ans. Jai aussi travaillé dans les sections de la bibliothèque médicale, plantes médicinales pour finir au contrôle de qualité (eau, médicaments, denrées alimentaires…) où on m’a responsabilisé de 1990 à 2011. Je donnais parallèlement des cours depuis 1984. Quand Pharmaguinée est devenue la pharmacie centrale d’achats et de distribution de médicaments au niveau national, le labo a été enlevé. Nous nous sommes battus pour qu’il soit rattaché à l’institut national de santé publique. Je me souviens encore de la considération dont je jouissait à Pharmaguinee ainsi que notre travail en équipe. En terme de difficultés c’était le problème en matériels modernes pour le labo mais l’Etat et les partenaires faisaient de leur mieux pour nous appuyer.
Votre travail acharné au laboratoire vous a valu plusieurs formations haut niveau tant en Guinée qu’à l’étranger mais aussi des distinctions honorifiques. Lesquelles vous ont le plus marqué ?
En terme de colloques, congrès scientifiques et stages dans différents domaines de la recherche et de la santé en général j’en ai participé à plus de 108 au niveau national, régional et international. S’agissant des stages de spécialisation, je peux entre autre citer des formations en toxicologie notamment dans le cadre du contrôle des stupéfiants avec le FBI des États-unis en 89-90 puis en 1992 au Luxembourg dans le même domaine. En 1995 à San Diego (Californie) dans le cadre d’une conférence internationale sur les problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie. Dans certaines conférences même si je n’y suis pas physiquement présente mes communication y vont. S’agissant des distinctions scientifiques il ya entre autre le prix d’excellence dans la contribution à la recherche et formation en Pharmacie obtenue lors de la semaine africaine scientifique à Conakry (2019); prix Dr Gabriel Sultan des pharmaciens (2017); Pharmacienne de l’année 2017 octroyé par la Tabala….J’ai été consultante de l’OMS, l’OAS, la CIPAD… et membre de plusieurs sociétés savantes.
Que faites vous pour motiver les étudiantes guinéennes à s’intéresser aux recherches scientifiques?
Il ya assez de femmes chercheurs (ex au CERESCOR) c’est peut-être la visibilité de leurs actions qui manque. Nous sommes les mentors de ces jeunes notament les filles en situation de master, doctorat. Pour les motiver le ministère de l’Enseignement Supérieur a initié depuis près de trois ans le prix d’excellence (dont je suis récipiendaire). Il ya la semaine scientifique. On organise aussi des concours de sciences mathématiques où les filles se démarquent. Il ya le service genre et équité qui est là pour la promotion des femmes capables tout comme l’association des femmes enseignantes-chercheurs des systèmes d’enseignement Supérieur qui existe depuis 2015. A travers la recherche on peut se reconnaître acteur de développement. Quand vous aimez la recherche faites d’elle votre vie sinon vous ne serez pas un bon chercheur. J’ai vu par exemple un banquier qui a inventé un « ordinateur debout » lors de la semaine scientifique de l’année dernière et a eut un prix nobel au Rwanda. Je dirait au jeunes filles qu’il n’ya pas plus noble que l’enseignement et la recherche et la femme est le miroir des enfants. Ma fille ainée a suivi mes traces en étant pharmacienne et pense de plus en plus à se lancer dans la recherche. Nous enseignants-chercheurs formons la relève pour qu’elle nous dépassent demain. Nous avons encadré plusieurs thèses sur des cas d’intoxication; consommation de tabac, alcool; drogue et toxicomanie; contrôle de l’eau, médicaments, plantes médicinales, etc.
Comment lutter contre la prolifération des médicaments de contrefaçon et promouvoir les plantes médicinales dont la recherche a prouvé l’efficacité dans les soins de beaucoup de maux?
Les pharmaciens agrégés doivent se battre et avoir le dessus sur le marché parallèle. Le malade doit aller vers le médecin pour se faire consulter et acheter les médicaments dans les officines. S’agissant des plantes il ya le laboratoire de Dubréka qui travaille d’arrache-pied. Il a par exemple produit les anti paludiques, les hypotenseurs, etc.
Quelles sont vos perspectives?
Faire un centre anti poison pour la Guinée. D’autres pays en ont pour la surveillance contre les morsures de serpents, scorpions, les intoxications accidentelles, les intoxications environnementales (actuellement l’environnement est pollué). Ça sera aussi une façon de contribuer au développement du pays. Pour rappel Nous (chercheurs) avons créé la fondation guinéenne pour la recherche sur les toxicomanies qui avait permis en 2009 de découvrir les produits précurseurs dans la fabrication des drogues.
Hadjiratou Bah