« Neuf ans après la révolution, aucune des grosses affaires de corruption soumises à la justice n’a été tranchée », déplore Talel Ferchichi de l’ONG tunisienne « I Watch ».
Tunis (dpa) – En Tunisie, la corruption continue de sévir bien qu’elle ait été l’une des causes principales du déclenchement de la révolution qui a chassé, début 2011, le dictateur Ben Ali du pouvoir, après 23 ans de règne sans partage.
Pour I Watch, ONG tunisienne de lutte contre la corruption, et section tunisienne en voie de formation de Transparency International, la justice est le « maillon faible » de la lutte contre la corruption dans ce pays d’Afrique du Nord. Talel Ferchichi, chargé des dossiers de la corruption et de la justice au sein d’I Watch, a répondu aux questions de la dpa.
Question : Votre ONG qualifie la justice de « maillon faible » de la lutte contre la corruption en Tunisie. Pourquoi cette prise de position ?
Réponse : Il y a trois ans, nous étions les premiers à annoncer cela. Aujourd’hui, nous le confirmons. Neuf ans après la révolution, aucune des grosses affaires de corruption soumises à la justice n’a été tranchée. Des procès intentés, depuis des années, par notre organisation contre notamment l’ancien chef du gouvernement Youssef Chahed et des ex-ministres (suspects de corruption, ndlr), dorment toujours dans les placards de la justice.
Question : Comment cela est-il possible ?
Réponse : Dans les affaires de corruption traduites devant la justice, il y a certains magistrats complices avec les corrompus. Il y a aussi l’instrumentalisation et la manipulation politique du ministère public par le pouvoir exécutif et plus précisément par des partis politiques influents au sein du gouvernement. Les corrompus ne sont donc pas jugés selon leurs lourds dossiers, mais en fonction de leurs allégeances politiques et partisanes.
Pire encore, certains procès de corruption sont intentés par la justice dans le cadre de règlements de compte politiques. À maintes reprises, le parquet avait approuvé et accéléré l’examen de procès de corruption – abstraction faite du contenu – parce qu’ils étaient intentés par des ONG ou des personnalités proches de partis politiques manipulant la justice.
Question : Que faites-vous pour lutter contre ce problème ?
Réponse : Nous allons demandez un rendez-vous avec le Conseil supérieur de la magistrature et nous allons proposer l’examen d’un projet de réforme de la justice. Le code pénal tunisien a besoin de révision : ses dispositions sont devenues caduques. Même la loi de 2018 sur la lutte contre l’enrichissement illicite et le conflit d’intérêt dans le secteur public n’incrimine pas le fonctionnaire qui s’y implique et ne prévoit pas de sanctions à son encontre.
Il faut donc réviser les articles de ce code. Par ailleurs, nous invitons le président de la République à intervenir pour sauver la justice tunisienne. C’est une question qui n’est pas éloignée de ses prérogatives, car l’indépendance de la justice est parmi les piliers de la sécurité nationale tunisienne.