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En 2011, le chef de l’État avait mis en place une commission provisoire de réflexion sur les conditions pouvant amener les guinéens à se réconcilier suite aux graves violations de leurs droits depuis l’indépendance du pays. Une situation qui a gravement impacté la cohésion sociale (décret D/2011/192/PRG/SGG du 24 juin 2011). Co-présidée par deux religueux, El haj Mamadou Saliou Camara (imam grande mosquée Faycal) et Monseigneur Vincent Koulibaly (Archevêque de Conakry), cette commission a en 2016 transmis le rapport final au président Alpha Condé. Financé par les nations unies (PNUD) ce projet avait suscité de l’engouement auprès des populations, victimes, partis politiques et partenaires. Aujourd’hui si les guinéens estiment que cette réconciliation nationale est toujours d’actualité, ils s’interrogent cependant sur sa non mise en application et la manière dont elle doit être faite.
Seny Facinet Sylla enseignant chercheur a été l’un des conseillers de l’imam Elhaj Mamadou Saliou Camara durant l’élaboration de ce projet de réflexion: « un gigantesque travail de recueil des avis des populations a été fait sur l’ensemble du territoir. Ceux de la diaspora ont aussi été entendus à travers une plateforme numérique. Il s’agissait de savoir comment les gens perçoivent la réconciliation nationale et comment ils veulent que ça se passe. Nous avons fait un rapport que nous avons remis au président de la république en personne en juin 2016. Il avait instruit à son premier ministre d’alors Mamadi Youla de s’approprier ce rapport pour la mise en oeuvre des recommandations dont la principale était axée sur la mise en place d’une commission vérité, justice et réconciliation. Pendant un moment nous avons travaillé avec la commission mise en place par le PM et nous sommes parvenus à élaborer un avant projet de loi qui devait être envoyé en conseil inter-ministériel et ministériel avant de parvenir à l’Assemblée Nationale. »
Depuis, cette période c’est le silence. Après 5 ans de travail acharné sur ce projet de réflexion, le doyen Seny Facinet Sylla souhaite que le pouvoir exécutif en fasse une priorité. Il invite aussi les intellectuels a prendre leurs responsabilités: « les intellectuels guinéens se rendent coupables d’une complicité active pour ne pas prendre position pour la réconciliation des guinéens alors que sans elle on ne décollera pas. Les intellectuels doivent sortir de leur torpeur et dialoguer. Les gens ont peur pour leur petit poste et sont très insensibles aux problèmes des populations qui ont contribué à nous éduquer, former et mettre là où nous sommes »
Qu’en pensent les citoyens ?
La réconciliation nationale est fondamentale pour un pays qui a connue tant de déchirures sociales estiment des militants de la mouvance et de l’opposition guinéenne. Alpha Alimou Diallo du RPG salue le décret du 27 janvier 2021 du Président Alpha Condé mettant en place un cadre permanent de
dialogue politique et social entre acteurs socio-politiques et institutionels : « il y’a un temps d’élection et un temps de travail. Généralement la politique divise beaucoup de personnes même si après elles se comprennent. Pour réconcilier les gens il faut poser des actes, se dire la vérité sur ce qui s’est passé et rendre justice. Si ces deux éléments sont respectés il y aura une réconciliation effective de l’indépendance à nos jours. Le gouvernement est entrain de tout mettre en oeuvre pour que cela soit une réalité. »
Joachim Baba Milimono, vice coordinateur de la cellule de communication et membre du Bureau Exécutif de l’UFDG, pense que la réconciliation doit se faire à plusieurs niveaux: « La réconciliation c’est d’abord entre les citoyens et l’État car la plupart des violences ont été perpétrées par l’État. Puis entre citoyens à cause de plusieurs accusations entre différentes familles sur l’arrestation d’un des leurs. Enfin il y’a la réconciliation entre l’État et les institutions de la république (police, gendarmerie, militaires…) ».
Au centre ville de Conakry le mot réconciliation nationale ne sonne pas bien aux oreilles de ces deux jeunes que nous avons croisé. Pour eux vérité et justice sont plus appropriés : « il n’y a eut ni génocide, ni guerre civile en Guinée donc le mot réconciliation n’a pas sa place ». Il faut que la justice fasse son travail pour lutter contre l’impunité et que les guinéens sachent comment se pardonner », estime Alpha Kabinet Camara. De son côté Cheick Tidiane Nabe responsable d’une agence d’événementiel insiste sur le rôle des relais communautaires: » A la place de réconciliation nationale je préfère qu’il y ait un projet de dialogue communautaire. Il y’a beaucoup de structures formelles et informelles dans nos quartiers qui une fois formées, financées et déployées sur le terrain pourront bien mener ce dialogue, sensibiliser leurs communautés. Ce qui peut mieux réussir que les structures étatiques à cause du manque de confiance existant depuis belle lurette entre elles et la population. Les relais communautaires peuvent faire beaucoup de choses. »
Elhaj Boubacar Barry est l’ancien président de l’AVCB (Association Victimes du Camp Boiro). Pour lui l’origine du mal guinéen provient du premier régime et pointe du doigt le manque de volonté des dirigeants actuels: « le péché originel est venu de la première république où un système a été mis en place pour martyriser, tuer des guinéens de la pire des manières comme les pendaisons, la diète noire…C’est toute la communauté qui en a souffert. Les guinéens aspirent à vivre en harmonie, en paix. Je pense que c’est le manque de volonté politique qui est la cause du retard de l’exécution de ce grand processus qui est incontournable pour le pays. »
Si la nécessité d’un dialogue sincère s’impose à tous, sur le plan judiciaire les textes de lois sont clairs rappelle Mory Douno consultant en droits de l’homme: « pour qu’il y ait poursuite il faut qu’il y ait des preuves matérielles attestant de la culpabilité des uns et des autres sinon ça sera difficile. Certains sont morts, d’autres refusent de dire la vérité. C’est pourquoi il ya des mécanismes judiciaires et non judiciaires qu’on peut mettre en oeuvre. Tout dépendra des guinéens. Il faut aussi que les partenaires nous aident parce que l’histoire politique de la Guinée est complexe. Certains dossiers sont classés par la France notamment, qui nous a colonisé. Si elle lève le voile sur ces moments difficiles, nous pourrons mieux savoir qui a fait quoi et aller vers la réconciliation. »
Les guinéens doivent continuer à prôner la paix et le dialogue exhorte Honorable Zalikatou Diallo Première Vice Présidente du parlement guinéen:
« Il faut toujours aplanir les divergences afin qu’il y ait la paix et un développent durable. Cela permettrait à la Guinée d’être au rendez vous de l’agenda 2030 et celui 2063 de l’Union Africaine. »
Elle souhaite ardemment la mise en oeuvre des recommandations du rapport de réflexion sur la réconciliation nationale et la fin de cette instabilité chronique.
Hadjiratou BAH
Une initiative de la CONAREG et Sites of Conscience dans la troisième phase de son projet « prévention de la violence et consultations communautaires en Guinée«